Projet de la loi de finances 2017 : critiques et propositions
Ne faisant pas
l'exception, le projet de la Loi de Finances 2017 (L.F 2017) a provoqué un
tollé général. Certains sont allés jusqu'à la proclamation de jour de colère!!
Le tunisien a eu droit à un défilé de spécialistes de tout genre critiquant les
dispositions prévues et mettant à nu leurs impacts négatifs sur tel ou tel
secteur ou sur telle ou telle frange de contribuables.
Toutefois, les
propositions avancées se limitent souvent à des principes généraux et des
recommandations de faire ou de ne pas faire : alléger la charge fiscale,
encourager l'investissement, lutter contre l'évasion et le secteur parallèle, ne
pas recourir à l'endettement, etc.
Ce qui ne
demeure plus un secret c'est le déficit, désormais insoutenable, des finances
publiques que le projet de la LF 2017 a tiré au grand jour et auquel il a essayé
d'apporter des solutions en grignotant ici et là au détriment surtout de la
classe moyenne.
Loin de prétendre
à une dissection des dispositions du projet de la L.F 2017 et à une lecture
exhaustive de ses fondements et ses répercussions, on se limitera, dans le
cadre de cet article, à une brève critique de l'aspect général pour se focaliser
sur une analyse de l'impact sur le contribuable des dispositions relatives à
l'impôt sur les revenus des personnes physiques (IRPP). Enfin, il sera formulé nombre
de propositions concernant le dernier volet.
Critique
de l'aspect général
Le projet de
la L.F 2017 ne déroge pas au principe de complexification qui a caractérisé les
lois de finances depuis un certain nombre d'années et qui a atteint son
paroxysme depuis 2011 propulsé notamment par le dédoublement des lois de
finances pour les années 2011, 2012, 2013, 2014 et 2015.
En effet, on
assiste depuis un certain temps à une "labyrinthisation" incessante
de la législation fiscale par la multiplication des régimes d'exceptions, des
traitements spécifiques, des paramètres. Ce processus n'a pas manqué le rendez-vous
de la L.F 2017 : plafonnement de la déduction des frais professionnels à 2.000
dt, plafonnement de la déduction des intérêts sur les crédits logement, droit
d'enregistrement complémentaire sur les cessions et donations d'immeubles dont
le montant excède 1 MD, contribution conjoncturelle, création d'un régime dérogatoire
pour les avocats (avances d'impôt par mécanisme de timbres fiscaux et
exonération des acomptes provisionnels), etc.
Ce qui à nos
yeux a manqué le rendez-vous, avec tout le respect à ceux qui ont élaboré le
projet de la LF, c'est le sens de la créativité, l'ingéniosité et
l'instauration d'une vision stratégique à même de guider les dispositions de la
L.F 2017 pour l'inscrire dans un processus de réforme fiscale à long terme.
Analyse
de l'impact sur le contribuable des dispositions prévues en matière d'IRPP
Les
principales dispositions ayant un impact sur la charge fiscale supportée par
les personnes physiques sont les suivantes :
·
Réaménagement
du barème de l'IRPP,
·
Plafonnement
de la déduction au titre des frais professionnels à 2.000 dinars par an. Mesure
qui concerne les salariés.
·
Allègement de
l'imposition des revenus provenant des jeux de pari, de hasard et de loterie en
ramenant le taux de la RAS libératoire de 25% à 15% et en exonérant les revenus
des paris mutuels sur les courses de chevaux.
·
Déduction
totale des revenus provenant de l'export de l'assiette imposable et ce pour la
période allant du 01/01/2016 au 31/12/2020.
·
Plafonnement
de la déduction au titre des intérêts sur les prêts logements à 5.000 dinars
par an.
·
Augmentation
du plafond des intérêts sur les comptes d'épargne admis en déduction des
revenus imposables.
Seules les trois
premières mesures seront traitées. Les autres échappent à la vocation de la présente
analyse.
Pour ce faire,
on a simulé l'effet combiné du réaménagement du barème de l'IRPP et du
plafonnement de la déduction des frais professionnel pour les salariés. Les
résultats de la simulation peuvent être résumés comme suit :
a.
Pour les
salariés :
ü Un
allègement de la charge fiscale pour les salariés percevant actuellement des
salaires nets compris entre 419 et 1.394 : le montant de l'économie d'impôt
pour ces salariés décroitra, sur l'intervalle de salaires indiqué, d'un maximum
de 44 dinars pour tendre vers 0.
ü Une
augmentation de la charge fiscale pour les salariés percevant actuellement des
salaires nets supérieurs à 1.394 dinars. A titre d'illustration : les salariés percevant
actuellement 2.000 dinars, 3.500 dinars et 5.000 dinars vont voir leurs salaires
nets baisser, respectivement, de 15 dinars, 88 dinars et 168 dinars.
b.
Pour les non
salariés :
ü Un
allègement de la charge fiscale pour les contribuables ayant un revenu annuel
imposable compris entre 5.000 dinars et 18.750 dinars : le montant de
l'économie d'impôt pour ces contribuables, décroitra sur l'intervalle de revenus
indiqué d'un maximum de 525 dinars (44 dinars par mois) pour tendre vers 0.
ü Une
augmentation de la charge fiscale pour les contribuables ayant un revenu annuel
imposable compris entre 18.750 et 20.833 dt : le montant de cette augmentation
atteint un maximum de 25 dinars (2 dinars par mois) pour les revenus de 20.000
dinars.
ü Un
allègement de la charge fiscale pour les contribuables ayant un revenu annuel
imposable supérieur à 20.833 : le montant de cet allègement atteint un maximum
de 125 dinars (10,500 dinars par mois) à partir des revenus annuels imposables supérieurs
à 25.000 dinars.
Le tableau
suivant illustre l'impact des dispositions prévues par le projet de la L.F 2017
sur les revenus mensuels nets des contribuables personnes physiques en
distinguant entre les salariés et non salariés.
Revenu
net mensuel après LF
|
||
Revenu
mensuel net actuel
|
Salarié
|
non
salarié
|
400
|
400,000
|
441,376
|
500
|
537,538
|
532,626
|
1 000
|
1
009,910
|
1
006,748
|
1 500
|
1
493,864
|
1
505,152
|
2 000
|
1
984,992
|
2
010,417
|
3 500
|
3
411,555
|
3
510,417
|
5 000
|
4
832,325
|
5
010,417
|
* Chiffres
exprimés en dinars.
Des
dispositions de la LF ressort une focalisation sur les salariés : augmentation
de la pression fiscale sur les salariés percevant des salaires nets supérieurs
à 1.394 dinars contre un allègement, quoique insignifiant, de la pression
fiscale sur les contribuables réalisant des revenus dans le cadre d'entreprises.
Les revenus de
travail salarié sont visés du fait de la facilité relative de la collecte des
impôts y afférents : collecte par voie de retenue à la source effectuée par
l'employeur avec des sanctions pénales dans le cas de non reversement de la
retenue effectuée.
Par opposition
à l'augmentation de la pression fiscale sur les revenus du travail, le projet
de la L.F 2017 a été soucieux de l'allègement de la fiscalité des jeux de
hasard, de pari et de loterie en ramenant le taux de retenue à la source
libératoire sur les revenus y afférents de 25% à 15%. Cet allègement, d'une
fiscalité pourtant instaurée en 2016, dénote d'un encouragement du gain facile et
ne peut que renforcer le sentiment, déjà répandu entre les jeunes tunisiens, de
mépris du travail. Il sent, soit dit en passant, le poids du lobbying de
certains intervenants puissants dans le processus de genèse de nos lois.
Propositions
Le présent
article n'est nullement animé par une volonté de pure critique et d'exhibition
des aberrations. Au contraire, son dessein est de contribuer à redresser une
trajectoire que nous croyons à la dérive et d'essayer d'apporter, un tant soit
peu, de nouvelles idées qui vont dans le sens des objectifs suivants :
Ø Alléger
la pression fiscale sur les classes à faible et moyens revenus ;
Ø Assurer
une plus grande équité fiscale entre les contribuables ;
Ø Rationaliser
la collecte de l'impôt.
Partant, les
propositions avancées sont axées autour des trois éléments suivants :
·
Renoncer à
certaines mesures prévues par le projet de la L.F 2017 ;
·
Améliorer le
réaménagement du barème d'impôt ;
·
Introduction
de nouvelles mesures concernant l'IRPP.
I-
Renoncer à certaines mesures prévues par le projet de la L.F 2017
1.
Annuler le
plafonnement des frais professionnels à 2.000 dinars ou le porter au moins à
5.000 dinars
Le plafond prévu par le projet de la L.F 2017 n'est
pas pertinent, il est même injuste. Il est de nature à léser les salariés et
notamment ceux de la classe moyenne qui sentiront le plus le poids de cette
mesure.
En effet, les frais occasionnés par un travail
salarié peuvent dépasser largement le plafond prévu par le projet de la L.F
2017 : amortissement de voiture, coût du carburant, coût des tenues de travail,
etc. En outre, les salariés seront ainsi défavorisés par rapport aux
contribuables réalisant leurs revenus dans le cadre d'entreprises. Ceux-ci ont
la possibilité de déduire, sans plafond, de leurs revenus imposables : le coût
de leur transport (amortissement de voiture, carburant, entretien, assurance,
etc.) ainsi que d'autres charges encourues également par les salariés mais non
déductibles pour eux.
2.
Annuler la
réduction du taux d'imposition des revenus provenant des jeux de pari, de
hasard et de loterie
En effet, le maintien de cette mesure serait
encourager le gain facile, glorifier les joueurs et ancrer la culture du hasard
et des coups de chance contre le mépris du travail et son avilissement.
L'exposé motifs soulève pour cette mesure, classée parmi les mesures à
caractère social, l'effet négatif de l'imposition introduite en 2016 sur les
revenus provenant des paris mutuels sur les courses des chevaux et du
promosport et le recours aux circuits parallèles par les adeptes de ces jeux.
A ce titre, il serait plus judicieux de maintenir
la nouvelle mesure d'exonération des revenus des paris mutuels sur les courses
de chevaux et de limiter la baisse de l'imposition des revenus de jeux à ceux
relatifs aux sports.
II-
Améliorer le réaménagement du barème
Le
réaménagement proposé du barème de l'IRPP, si on élimine l'effet négatif du
plafonnement de la déduction des frais professionnels, satisfait à l'objectif
d'allègement de la pression fiscale sur les classes à faibles et moyens revenus.
Toutefois, nous
croyons que ce réaménagement gagne à être amélioré et ce dans un double objectifs.
D'une part, afin augmenter les recettes fiscales de l'Etat ce qui constitue un
besoin pressant. D'autre part, pour assurer une plus grande équité fiscale
entre les contribuables.
En fait, à
l'état actuel et même selon le barème proposé, la tranche suprême d'imposition
concerne les revenus supérieurs à 50.000 dinars. Pour chaque dinar gagné en
plus des "premiers" 50.000 dinars, le contribuable paie 35% d'impôt.
Concrètement, un salarié percevant un salaire net de 3.451 dinars ou un non
salarié réalisant un revenu net mensuel moyen de 3.092 auront à payer 35%
d'impôt sur chaque dinar de revenu supplémentaire. Ceci ne va pas dans le sens
de l'équité fiscale, à nos yeux, parce que de telles personnes ne peuvent être
classées que parmi la classe moyenne
et
c'est un abus de soumettre une partie de leurs revenus au taux suprême
d'imposition.
A notre avis,
le barème d'impôt doit marquer le passage entre les classes sociales en termes
de revenu. C'est dans ce sens que nous proposons d'améliorer le réaménagement
du barème d'impôt prévu par le projet de la L.F 2017 en créant une ou deux
tranches supplémentaires pour les revenus supérieurs à 50.000 dinars. Ces
tranches seront imposées à des taux supérieurs qui peuvent être à titre
d'exemple : 38% pour les revenus supérieurs à 80.000 dinars et 40% pour les
revenus supérieurs à 200.000 dinars.
Nous sommes
conscients que cette proposition répugnerait certains au motif qu'elle
décourage les investisseurs et les grandes fortunes à faire leurs affaires en
Tunisie, mais à ceux-ci nous pouvons souligner que l'attractivité d'un pays ne
doit pas se limiter à sa fiscalité, que le pays est en crise et qu'une équité
fiscale est de nature à sauvegarder les intérêts des investisseurs.
Par ailleurs,
en jetant un coup d'œil sur le droit comparatif, il appert clairement qu'en
adoptant cette proposition, nous ne jouerons pas en solo. Le tableau suivant
expose le taux d'imposition de la tranche supérieure des revenus des personnes
physiques dans certains pays.
Maroc
|
38%
|
Espagne
|
52%
|
Belgique
|
50%
|
Canada
|
>50%
|
France
|
45%
|
Allemagne
|
45%
|
Portugal
|
40%
|
Pays
scandinaves
|
>50%
|
III-
Prévoir de nouvelles mesures
Outre, la proposition exposée ci-haut se
rapportant au réaménagement du barème, nous formulons ci-après deux autres
suggestions qui vont dans le même sens; à savoir, l'allègement de la pression
fiscale sur les classes à faibles et moyens revenus et le renforcement de
l'équité fiscale ainsi que la rationalisation de la collecte d'impôt.
1.
Prise en
compte du revenu global pour la détermination des tranches d'imposition du
revenu soumis à l'impôt
Ceci consiste à déterminer les tranches
d'imposition du revenu soumis à l'impôt au vue du revenu global du contribuable
avant toute déduction de revenus bénéficiant de régimes de faveur ou
d'avantages fiscaux tels que : les dividendes, les revenus provenant de
l'export, les dégrèvements financiers, les investissements en compte CEA et en
plan d'assurances vie, etc.
En d'autres termes, les revenus exonérés ou admis
en déduction pour déterminer le revenu soumis à l'impôt continuent à l'être,
mais ils seront pris en compte uniquement pour "saturer" à dû
concurrence les premières tranches du barème. Ainsi, le revenu soumis à
l'impôt, après les déductions et exonérations, sera rattaché aux tranches de
revenus non "saturées" par les revenus bénéficiant d'avantages
fiscaux.
Prenons un exemple : un contribuable a réalisé un
revenu global de 105.000 dinars dont 100.000 dinars provenant de l'export
déductibles totalement. A l'état actuel, pour déterminer l'impôt dû, le
contribuable procède à la déduction des revenus provenant de l'export puis détermine
l'impôt en appliquant le barème à son revenu soumis à l'impôt. Ainsi, son
revenu soumis à l'impôt étant de 5.000 dinars, ce contribuable ne paiera pas
d'impôt puisque la tranche exonérée selon le nouveau barème est de 5.000
dinars.
Selon la mesure proposée et vu que le niveau du
revenu global du contribuable est de 105.000 dinars, le revenu soumis à
l'impôt, soit 5.000 dinars sera rattaché à la tranche supérieure d'imposition
et sera de ce fait imposé au taux de 35%.
On peut formuler cette mesure de la façon suivante
: L'impôt est déterminé en rattachant le revenu soumis à l'impôt aux tranches correspondantes
après l'imputation fictive en premier lieu des revenus bénéficiant d'avantages
fiscaux.
Pratiquement, la liquidation de l'impôt sur le
revenu peut être effectuée d'une manière facile en observant les trois étapes
suivantes :
1ière étape : Détermination d'un impôt fictif
sur le revenu global : comme si ces revenus sont totalement imposables ;
2ième étape : Détermination d'un impôt
fictif sur les revenus bénéficiant d'avantages : comme si ce sont les seuls
revenus du contribuable et qu'ils sont imposables ;
3ième étape : Détermination de l'impôt
dû en déduisant de l'impôt fictif global, l'impôt fictif sur les revenues
bénéficiant d'avantages fiscaux.
Cette mesure aura pour effet :
De consolider
les recettes fiscales : à ce titre l'impôt supplémentaire peut atteindre un
maximum de 4.600 dinars dans le cas d'un contribuable réalisant des revenus soumis
à l'impôt ainsi que des revenus bénéficiant d'avantages tous deux supérieurs à
50.000 dinars.
D'apporter
plus d'équité entre les contribuables : et ce en tenant compte du niveau du
revenu global du contribuable dans la détermination des taux d'imposition
De
rationaliser la collecte de l'impôt : et ce par la rationalisation des
avantages fiscaux en évitant de faire bénéficier le contribuable d'un double
avantage : l'exonération ou la déduction de certains revenus ainsi que l'imposition
allégée de ses revenus soumis à l'impôt.
2.
Instauration
de la déclaration fiscale par foyer sous certaines conditions
Cette proposition consiste à octroyer la
possibilité au contribuable de souscrire une déclaration fiscale intégrant son
conjoint si celui-ci ne dispose pas de revenus.
Dans le cadre de cette déclaration, le revenu
réalisé par le contribuable sera considéré comme revenu du foyer ce qui suppose
implicitement que chaque conjoint a réalisé la moitié de ce revenu. L'impôt à
payer sera la somme de l'impôt dû sur les revenus des deux conjoints.
L'impôt ainsi dû sur le foyer sera égal : 2 *
impôt dû sur la moitié du revenu réalisé par le foyer.
La charge fiscale du foyer considéré sera allégée
par l'effet du double bénéfice des taux réduits d'imposition sur les tranches
inférieures des revenus : sur chacune des moitiés du revenu du foyer.
Cette mesure assurera plus d'équité fiscale entre
les ménages ayant le même niveau de revenus mais qui sont réalisés par l'un
seulement des conjoints pour les uns et par les deux conjoints pour les autres.
Le tableau ci-après illustre, pour divers niveaux
de revenus par foyer, la charge d'impôt selon les dispositions du projet de la
L.F 2017, celle selon la mesure proposée ainsi que la réduction d'impôt en
résultante. Il est à préciser que la réduction maximale possible est de 4.600
dinars.
Impôt
sur le revenu dû
|
Réduction
d'impôt
|
||
Revenu
annuel imposable du foyer
|
Selon
la LF 2017
|
Selon
la proposition
|
|
10 000
|
1
350
|
0
|
1
350
|
15 000
|
2
700
|
1
350
|
1
350
|
20 000
|
4
050
|
2
700
|
1
350
|
30 000
|
6
900
|
5
400
|
1
500
|
50 000
|
12
900
|
10
800
|
2
100
|
100 000
|
30
400
|
25
800
|
4
600
|
* Chiffres
exprimés en dinars.